L'avantage d'avoir passé les deux nuits precedentes dans un hotel a cote de l'autoroute, c'est que quand je prends la route je suis tout de suite sur le-dit autoroute. Que de temps gagné ! Ce matin je roule environ deux heures de Wilkes Barre jusqu'a Elverson, un petit village ou se trouve Hopewell Furnace National Historic Site. Chic, encore une visite historique. Ce site permet de se familiariser avec un haut fourneau construit en 1771, avant meme le debut de la guerre d'independance des Etats-Unis, durant les premices de l'industrialisation de ce qui n'etait encore qu'un groupe de colonies britanniques. Apres des hauts et des bas pendant plus de cent ans, dépassé par les progres technologiques (procédé Bessemer introduit dans les années 1850), et semble-t-il en l'absence de desserte ferroviaire, Hopewell Furnace cessa son activité en 1883.
La production de Hopewell Furnace consistait d'une part en "pig iron", du fer de cochon. Ah non pardon wikipedia traduit ca par fonte brute. La fonte liquide etait recueillie a la base du haut fourneau dans des sillons creusés dans le sol dont la forme rappelait parait-il des porcelets tétant leur mere, d'ou le nom. Il faut un peu d'imagination mais pourquoi pas. Pig iron donc, vendu tel quel sous forme de lingots (ingots en anglais, juste une lettre a enlever pour la traduction !) comme produit de base pour d'autres industries. Comme chacun le sait la fonte est cassante en raison de sa teneur élevée (plus de 2%) en carbone. D'autres procédés - affinages - sont necessaires pour abaisser cette proportion de carbone et enlever les impuretés de la fonte et obtenir d'autres allliages aux propriétés specifiques (exemple : l'acier). Aucun affinage n'etait mis en place a Hopewell Furnace, d'ou la vente simplement sous forme de lingots de fer de cochon.
D'autre part a Hopewell Furnace cette fonte etait egalement moulée (to cast = mouler) sur place pour obtenir des produits finis en "cast iron" = fonte. Par exemple Hopewell Furnace produisait de nombreux modeles de cuisinière en fonte (cast iron kitchen stove).
Mark Bird fut le premier proprietaire de Hopewell Furnace, de 1771 a 1788. Quelques panneaux explicatifs tentent de situer Hopewell Furnace dans un contexte plus large qu'uniquement industriel. Ils notent que l'ecole locale accueillait des enfants noirs et des enfants blancs, et que l'entreprise faisait partie du Underground Railroad, un reseau du 19eme siecle utilisé par les esclaves afro-americains fuyant les etats esclavagistes. Alors meme que Mark Bird, fondateur de Hopewell Furnace, possedait lui-meme des esclaves. Il est aussi fait mention de l'egalite, a travail identique, de revenus entre hommes et femmes.
Apres avoir bien tout lu sur les panneaux du Visitor Center, je decide de profiter du beau temps en pique-niquant dehors, avant d'aller visiter tous les batiments du site.
Je m'assieds tranquillement, sors mon sandwich de mon sac, croque avec appetit. Et POUARK ! Une odeur abominable met le feu a mes narines. Mon sandwich est-il pourri ? Non, mais il doit y avoir de l'elevage intensif dans le coin, ou alors un epandage de purin vient d'avoir lieu a proximité. Des insectes volants completent le tableau. Je ne m'incline pas et je me concentre sur la beauté du paysage et le calme environnant en mangeant mon sandwich. Je me souviendrai longtemps de ce pique-nique a Hopewell Furnace.
Apres le dejeuner c'est la recompense : je vais admirer des vieux batiments ! Je procede de maniere systematique en suivant numero par numero le chemin proposé par mon guide-depliant.
Ce fourneau fut construit en 1853 et abandonné apres seulement quelques années, sans doute car le cout d'approvisionnement en anthracite le rendait non rentable.
Trois ingredients etaient necessaires au fonctionnement d'un haut fourneau tel que celui de Hopewell Furnace : du minerai de fer, un agent reducteur (calcaire), et du combustible riche en carbone (charbon de bois). Les anciens hauts fourneaux comme Hopewell Furnace etaient situés strategiquement a proximité de ces resources pour limiter le transport des matieres premieres. Des mineurs se chargaient de l'approvisionnement en minerai et calcaire, tandis que d'autres ouvriers specialisés, les "colliers" en anglais, transformaient le bois en charbon. J'ai appris le mot "collier" sur place et j'etais curieux de son etymologie : il provient de "col", ou charbon en vieil anglais (coal en anglais moderne). Bon, donc charbonnier en francais !
Les charbonniers livraient leur charbon dans un batiment en pierre construit a proximité du fourneau, d'ou d'autres employés l'emmenaient en brouette et le deversaient - ainsi que minerai de fer et calcaire, dans des proportions bien definies par le fondeur - dans le gueulard.
Juste a coté, deux grandes roues a aubes actionnent une non moins grande machine qui force de l'air dans le fourneau, par sa base.
En haute saison, de fin mai a debut septembre, Hopewell Furnace organise des ateliers de "Molding & Casting", ou les visiteurs peuvent s'essayer a la preparation d'un moule (mold) en sable, et "fondre" (to cast) un objet dans leur moule avec du platre.
Si vous voulez en apprendre plus sur comment couler des objets avec des moules en sable, il y a des videos formidables sur youtube.
Je gambade sur le site en visitant tous les batiments accessibles et en essayant d'ouvrir toutes les portes.
- le magasin - dont ont survécu 18000 pages d'enregistrement meticuleux de toutes les transactions entre 1800 et 1876 - où les travailleurs payaient... eh bien en heures de travail.
- l'atelier du forgeron. Meme si, si j'ai bien compris, la fonte brute produite sur place ne se pretait pas au forgeage.
- les fondations de l'ecole, qui n'existe plus.
- des petites maisons louées aux travailleurs et a leurs familles, avec leurs goguenots en exterieur.
- une pension pour les travailleurs celibataires qui, je cite, n'avaient que peu de temps ou d'interet pour la lessive, la cuisine, ou le ménage.
A son apogée le fourneau employait jusqu'a 240 personnes.
Allons donc, tout ceci est bien gentil mais nous aimerions savoir a qui profitaient ces journées de travail penible longues de douze heures : au maitre de forges, souvent egalement (co-)proprietaire du fourneau.
Il fait beau et chaud, c'etait une sympathique visite au calme, bien eloignée sans doute de l'atmosphere bruyante et polluante du site quand le fourneau etait en activité. Avant de partir je vais m'acheter des petits souvenirs au Visitor Center.
Ha ha ha ! Quel humour. Mais non, ce monsieur Georgius Agricola, considéré comme le pere de la metallurgie me dit wikipedia, est l'auteur de l'ouvrage de reference De Re Metallica ("des choses metalliques") publié en 1556. Wikipedia, a qui la blague n'a pas echappé non plus, indique sur la page en anglais du livre qu'il "ne faut pas confondre avec Metallica", le groupe de musique. Est-ce que Metallica s'est inspiré de De Re Metallica pour les paroles de leurs chansons ? Je ne sais pas, cheres lectrices et lecteurs, je ne sais pas... Les douces sonorités de leur musique me font souvent plutot penser a une scierie industrielle, jugez-en par vous-memes : que dire de cet extrait, ou de celui-ci, a ecouter avec le son a fond bien entendu !
Revenons a mes achats dans le Visitor Center de Hopewell Furnace. Je me suis rabattu sur des livres bien moins imposants que De Re Metallica :
- Making Iron and Steel - The Historic Processes - 1700-1900, un opuscule d'a peine 22 pages tres ardu a suivre. Je n'ai pas compris grand chose, peut-etre aurais-du lire De Re Metallica au prealable.
- Beginner's guide to birds, eastern region, un petit livre de photos pour identifier les oiseaux de l'est des Etats-Unis. Ca nous servira avec C2 a reconnaitre tous nos petits visiteurs ailés et pepieurs dans notre backyard.
Je finis ma journée en conduisant jusqu'a mon hotel a Limerick. 123 miles (198 km) de plus au compteur aujourd'hui, pour un total de 593 miles (954 km) depuis l'aeroport de Pittsburgh.